Si kosa ou la pou fé out bann rosérs ?
Ma thèse de Doctorat, dirigée par le Professeur Carpanin Marimoutou, porte sur l’histoire et les formes de la poésie réunionnaise et mauricienne de langue créole. Dans des sociétés insulaires comme les nôtres où la poésie en créole tient une place conséquente en étant présente dans de nombreux domaines artistiques (chansons, théâtre, danse, peinture, etc...) et dans différents lieux (dans les livres, sur CD/DVD, dans la rue, sur scène au Théâtre, dans la kour domoun, etc...), il était important de mettre en place une recherche spécifique sur ce genre littéraire. Le domaine étant immense et les approches multiples, cette thèse, déposée en Lettres et Sciences Humaines, est menée selon trois perspectives : historique, sociologique et textuelle. Elle propose ainsi de faire le point sur les formes, l’histoire, la circulation et la réception de la poésie en langue créole à La Réunion et à Maurice.
De 1928 à 2007 Outre l’inventaire complet de ces productions (des origines à aujourd’hui), mon propos est de retracer, ou plutôt de construire l’histoire du genre en caractérisant les textes qui y font date. Les formes poétiques sont tout d’abord appréhendées par rapport à l’histoire de leurs territoires. Elles sont ainsi systématiquement replacées dans leurs contextes d’écriture et d’énonciation, car selon les périodes et selon ce qui a les a précédées, les enjeux de ces écritures ne se posent pas dans les mêmes termes. Le premier texte écrit en créole en 1828 n’a en effet ni le même poids, ni la même valeur, ni la même fonction qu’un poème chanté en créole dans les années 1970, qui, lui-même, ne porte pas le même dessein qu’un texte déclamé lors d’un “kabar fonnkèr” en 2007. Mais la contextualisation, étape certes indispensable, ne saurait à elle seule rendre compte de la constitution en genre. Il est en conséquence fondamental de procéder à des analyses textuelles précises (qui étudient ce qui est dit et de quelle manière), car c’est bien dans et par les textes que se déploient effectivement les propositions d’un discours poétique qui ne cesse de problématiser son rapport aux formes (supports, énonciations, intertextualités) : c’est en concevant de la sorte la poésie en créole que je cherche à saisir la dynamique de l’histoire qu’elle échafaude.
Kosa la rosérs la fini fé si tém-là ?
Les études sur les littératures de langues créoles sont encore très peu nombreuses, les chercheurs se tournant plus volontiers vers les littératures écrites en français. A côté de la thèse de Carpanin Marimoutou, qui s’intéresse au roman, les quelques approches de la poésie en créole se trouvent dans des articles et dans des mémoires universitaires (Daniel-Roland Roche, Alain Armand, Jean-François Sam-Long, Axel Gauvin, Félix Marimoutou). A Maurice, Vinesh Hookoomsing et Vicram Ramharaï travaillent depuis plusieurs années à ces questions. Les anthologies et les manuels scolaires offrent aussi des points de repères chronologiques, des biographies et des extraits de textes.
Servir la LCR Les enseignements du créole, en créole, étant maintenant dispensés dans certains collèges et lycées, il est essentiel de développer et de fournir des outils de lecture capables de saisir les fonctionnements textuels de ces expressions littéraires. Ce ne sont en effet pas des objets vides de sens exposés pour être simplement contemplés. Comme ils touchent fondamentalement à notre culture et à notre identité, il s’agit de les considérer en prenant la mesure des filiations qu’ils produisent et dans lesquelles ils s’inscrivent. Produits des expériences langagières, ils sont l’espace où l’Homme énonce son rapport au monde et où il éprouve sa liberté d’expression.
Kosa i fo an pansé la poézi La Rénion par raport la poézi déor ?
La poésie réunionnaise et mauricienne d’expression créole présente cette particularité d’appartenir à des territoires qui ont une histoire “jeune” relativement aux autres formes poétiques qui comptent plusieurs siècles d’existence (comme la poésie franco-française par exemple). Ainsi, en à peine 200 ans, les écritures poétiques en créole ont évolué à une vitesse remarquable.
Dialogue avec le monde Balbutiantes au début du 20ème siècle, elles dialoguent depuis maintenant plusieurs années entre elles et avec les littératures contemporaines. Ecrite, lue ou chantée dans une langue qui n’en était pas une aux yeux de la société, la poésie réunionnaise en créole a dû se positionner par rapport au discours officiel. De ce fait, elle a véritablement participé à la légitimation et à la reconnaissance de la parole créole dans l’espace social réunionnais.
Kosa i mark la poézi La Rénion ?
La poésie réunionnaise en créole est indéniablement marquée par son histoire. Dès les premiers textes, elle s’est en effet d’emblée investie dans les problématiques liées à son territoire. Exit les représentations idylliques de l’île et les points de vues élaborés de l’extérieur, les projets d’écriture se sont focalisés sur des questions d’autant plus cruciales qu’elles étaient évacuées par le discours idéologiquement dominant : peuplement de l’île, esclavage, colonisation, puis départementalisation et, aujourd’hui, mondialisation, le point de repère du discours poétique est le sujet créole, celui qui tente d’habiter son lieu, pour reprendre les termes de mon maître à penser. La nouvelle lecture de l’histoire du pays est ainsi pensée du dedans de l’île, par les voix retrouvées de ceux qui en sont maintenant les acteurs principaux.
L’oralité révélatrice Pour construire leur histoire, les paroles poétiques convoquent de multiples formes au sein du texte et lors de ses énonciations. Aux fondements des “fonnkèr”, il y a le chant, les religions, les proverbes, les contes, les langues des ancêtres, la musicalité, les croyances, la danse, la corporalité (gestuelle, regards, voix, souffle), que la performance, lors de l’oralisation publique, ne peut que restituer. De plus, contrairement à d’autres littératures où le livre est une condition sine qua non de littérarité, la poésie en créole se communique en divers lieux. En examinant ses différents modes d’énonciation, on voit que les notions, ailleurs courantes, de genre littéraire, de texte, d’auteur et d’écriture sont réévaluées dans les faits.
Ousa ou trouv out bann téks ? Lé fasil ?
Les tirages originaux publiés, pour la plupart par des éditions artisanales, dans les années 1970 et avant sont évidemment aujourd’hui pratiquement introuvables. On peut néanmoins voir certaines versions aux Archives départementales, ainsi qu’à la Bibliothèque Universitaire du Moufia, et dans certaines bibliothèques privées. Le travail mené par les éditions K’A depuis 1999 propose de pallier ces absences en rééditant, à côté des textes contemporains, certains recueils anciens. En format livre et en format CD, les premières fables de Louis Héry datant de 1828 ont par exemple pu intégrer les rayons des librairies qui font une place aux productions créolophones. L’UDIR et de nombreuses associations du Port et de Sainte-Clotilde notamment s’investissent également dans des projets de publications qui sont présentes dans de nombreuses médiathèques.
Du livre et de la scène A Maurice, la National Library de Port-Louis (en lien avec les Archives de Coromandel), la Bibliothèque de l’Université de Maurice et la Library Carnegie de Curepipe sont les trois lieux qui gardent les textes anciens. Les difficiles conditions de conservation ne permettent cependant pas toujours d’apprécier la totalité d’un recueil. Pour les textes contemporains, seules deux librairies proposent une section littérature créole très épurée de ce qu’elle pourrait être en réalité, car nombreux sont les poètes créoles qui publient à compte d’auteurs. A côté de Dev Virahsawmy qui conduit ses éditions Boukie banané depuis 1980 et de la bibliothèque du LPT (Ledikasyon pu Travayer) qui fournit, depuis presque 30 ans, un considérable travail de promotion de la littérature mauricienne en langue créole, les maisons d’éditions mauriciennes se tournent essentiellement vers des textes en français, en anglais et en hindi.Mais puisque la poésie créole est celle qui s’énonce sous différentes formes, il est important de rappeler qu’elle se trouve aussi et surtout sur des scènes (programmées ou improvisées) lors de concerts ou de manifestations culturelles, sur des affiches, sur Internet, et même dans nos discographies (étagère Ziskakan, Danyèl Waro et Tapok par exemple).
Kél léspoir ou nana pou trouv in travay domin ék out tèz ? Tous les doctorants savent qu’une thèse n’est pas une fin en soi. Le Doctorat est un diplôme, il est une étape dans le projet professionnel. Recherche, enseignement ou changement radical de cap, qui sait où la poésie créole me mènera !
Domoun déor i port atansion sat i spas dann la rosérs litérèr dan nout ti péï ?
Oui, et à plusieurs niveaux. Au niveau régional, des collaborations sont réalisées avec les pays de la zone ; au niveau national et international également : des numéros spéciaux de revues littéraires sont par exemple de temps en temps consacrés à nos littératures créoles, et les colloques ouvrent aussi leurs portes à l’étude de ces littératures dites “mineures”. Plus spécifiquement, il y a le Comité International des Etudes Créoles qui organise tous les trois ans un colloque où sont représentées des disciplines en Sciences humaines (littérature, linguistique, sociolinguistique, anthropologie, musicologie, communication, etc...) : il permet aux chercheurs en créolistique venus des quatre coins du monde d’échanger et de progresser dans leurs réflexions.
Kozman Francky Lauret la ramasé Espésialis Fonnkèr, chercheuse en littératureArticle paru dans Témoignages le mardi 5 février 2008 (page 8)URL : http://www.temoignages.re/article.php3?id_article=27671
lundi 11 février 2008
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